mardi 25 mai 2010

Les escaliers noirs des Dominicaines - 4



Donald avait pris maintenant sa vitesse de croisière, il venait les voir une fois tous les deux ans et à chaque fois Simone et lui se retrouvaient comme au premier jour, amoureux, soit il venait à la maison, soit ils partaient ensemble en vacances, en Angleterre, en Italie, une semaine de bonheur que Sophie partageait en spectatrice heureuse d'avoir une famille normale pour quelques jours.
Pendant le reste du temps, Sophie était sage et Simone travaillait, voyageait pour son boulot de temps en temps et le reste du temps elle restait avec sa fille mais sans vraiment s'en occuper. Sophie grandissait et le collège approchait, celui-ci était mixte et se trouvait juste à côté de l'école des Dominicaines mais il était tenu par des frères, les Franciscains, une bonne continuité dans la religion et la culpabilité !! Paradoxalement, Simone n'était pas croyante ou plutôt si, mais elle était fâchée avec le Bon Dieu depuis qu'elle avait divorcé de son premier mari, elle en voulait à l'église de ne plus être acceptée, de ne plus être la meilleure alors elle la rejetait ! Sophie, elle, faisait plaisir, elle croyait devant les soeurs et ne croyait pas devant sa mère pour éviter toutes discussions !!
Sophie était assez jolie avec ses longs cheveux blonds et Simone eut peur que l'entrée en 6ème ne lui ouvre les yeux vers les garçons et l'éloigne d'elle. La première chose qu'elle fit fut une jolie tresse tenue par une pince à fleur et l'amena chez le coiffeur pour lui couper les cheveux. Mais elle voulait garder la tresse en souvenir, alors la coiffeuse n'eut pas d'autres choix que d'égaliser tout autour en ne laissant qu'un centimètre de cheveux sur la tête de la pauvre petite qui était entrée en fille et qui ressortait en garçon !! C'est donc avec la plus grande timidité, une coupe à la garçonne et des robes de petites filles sages qu'elle fit son entrée au collège. Pour ne pas s'intégrer trop vite, au lieu de manger à la cantine avec ses amis, Sophie déjeunait chez les Dominicaines, à côté, elle s'occupait de faire manger les élèves, débarrassait, faisait tourner le lave vaisselle, lavait par terre puis allait jouer avec les petites jusqu'à ce que ce soit l'heure de retourner au collège.
Simone réussissait très bien dans son travail, elle avait économisé de l'argent et s'était acheté son premier appartement. Mais elle s'était aussi pas mal coupé du monde et sa pathologie de perverse narcissique s'était bien installée. Elle avait pour secrétaire Nicole, une vieille fille d'une extrême gentillesse dont le seul but était de se sacrifier pour les autres - son père, sa grand-mère, sa méchante belle-mère et Simone - elle leur faisait les courses, à manger, gardait Sophie quand Simone était en voyage et ne contredisait jamais personne, une pâte ! Simone au contraire n'avait absolument aucune empathie, à partir du moment où elle allait bien, tout le monde devait aller bien et vice-versa ! Elle vivait dans une sorte de réel fictif où elle était la meilleure et où les autres suivaient ou s'ils se fâchaient, avaient tort. Elle voulait être parfaite, elle voulait que sa fille soit parfaite, elle voulait donner l'image de la mère célibataire qui a tout réussi et ça marchait.
Elles avaient enfin déménagé pas très loin, dans un bel appartement où Sophie avait sa chambre après 11 années à avoir dormi dans le même lit que Simone ! Il était temps !
Mais l'appartement fut long à meubler, Simone ne voulait que ce qu'il y avait de mieux car il fallait toujours impressionner, de toutes façons elle ne recevait presque jamais, le perfectionnisme tue la spontanéité ! Sophie avait été cependant très gâtée toute son enfance, ses anniversaires étaient tous plus somptueux les uns que les autres, toutes ses petites amies étaient ébahies, les mamans n'en revenaient pas qu'un femme seule qui travaille si fort arrive en même temps à organiser toute seule de tels événements !
Pour ce faire elle devait tout contrôler, dans son boulot où elle ne laissait rien passer et à la maison où sa fille devait tout lui montrer, pas de porte fermée, pas d'intimité, pas de petits secrets, elle devait tout lui raconter et ne rien lui cacher. Le cartable était fouillé, les placards étaient vérifiés mais Sophie n'avait rien à cacher, elle avait accepté très tôt sa soumission à sa mère sans vraiment s'en rendre compte et elle faisait tout ce qui était en son pouvoir pour coller à l'image que Simone s'en faisait. Un peu comme s'il y avait une petite trompe qui reliait leur deux cerveaux et qui projetait à Sophie l'image dont sa mère voulait d'elle. C'était fusionnel disait Simone, un amour que personne ne pouvait comprendre, d'ailleurs elle disait toujours que s'il arrivait quelque chose à sa fille elle la prendrait dans les bras et irait se noyer avec elle !! Sophie n'était pas malheureuse pour autant, au contraire, elle adorait le collège, elle adorait ses amies, elle riait tout le temps, s'amusait dès qu'elle pouvait et faisait ce qu'on lui disait de faire. Elle grandissait insouciante, sans avoir besoin de se creuser la tête pour essayer d'avoir des opinions à elle, sa mère les lui dictait sans effort ! Et elle rêvait ...

mardi 11 mai 2010

Les escaliers noirs des Dominicaines - 3



Chez les Dominicaines, Sophie n'était pas pensionnaire, elle restait à la cantine et à l'étude puis Simone venait la chercher en sachant que les soeurs pouvait la garder en cas de problème, elles pouvaient même la faire dormir, ce qui la rassurait. Tous les midis Simone montait de son bureau à l'école pour lui faire coucou à travers le grillage des fenêtres de la cantine qui étaient à mi sous-sol. Sophie attendait ce moment avec impatience, Simone lui souriait, tout allait bien, rien ne pouvait leur arriver.
Les Dominicaines était une école primaire seulement, elle était composée d'une ancienne villa à laquelle on avait ajouté une partie moderne pour faire des salles de classe sur trois étages, la maternelle au rez de chaussée, le CP au premier, le cours élémentaire au deuxième et le cours moyen au troisième étage. L'ancienne bâtisse était réservée aux chambres des soeurs qu'on ne voyait pas, à la salle à manger des professeurs et des soeurs, d'un escalier en ardoise noire qui montait au bureau de la mère supérieure et aux dortoirs, d'un escalier qui descendait à la cave et après ces deux escaliers de la salle de cantine. Devant les deux bâtisses se trouvaient les cours, celle qui servait de récréation avec sa ravissante pergola, son plaqueminier et sa Vierge Marie blanche et bleue sur une petite fontaine et celle qui donnait accès à la chapelle. C'est dans cette dernière que Mère Marguerite fut exposée après sa mort de manière à ce que toutes les petites filles viennent l'embrasser dans son beau cercueil !! Autre temps, autre moeurs !!
Sophie avait dans sa classe, un autre petite fille qui s'appelait Sophie Sciamana et qui elle aussi vivait seule avec sa maman. Un jour, la mère prieure vint en classe annoncer que la mère se Sophie Sciamana était morte, qu'elle s'était jetait du 6ème étage du Palais Armida où elle habitait, que Sophie serait donc pensionnaire à partir de ce jour et qu'il fallait être gentille avec elle. Ca pouvait donc arriver ! Ce jour là, Sophie imagina l'autre petite Sophie entrain d'hurler à l'annonce de la nouvelle dans les escaliers noirs des Dominicaines. Et elle se figea. Simone avait été choquée aussi, et elle en parlait à sa fille comme à une confidente sans se douter que sa fille s'était écroulée, à jamais, comme le lézard immobile sur le mur pendant que la vie passe. Plus d'émotions, plus de souvenirs, déconnectée de ses sensations, elle allait traverser sa vie dorénavant sans que rien ne la touche, le sourire aux lèvres, elle avait cessée d'exister réellement !
Pour Simone c'était tout bénéf ! Sa fille faisait tout ce qui était possible pour la rendre heureuse, pour ne pas qu'elle pleure, pour ne pas qu'elle se suicide elle aussi. L'année suivante, les soeurs avait fait un tableau représentant la naissance de Jésus et l'étoile du Berger qui brillait dans le ciel, chaque élève qui faisait une bonne action était convoquée par la Mère qui lui remettait un petit papier coloré à coller sur le tableau, quelle ne fut pas sa fierté d'apprendre que Sophie avait collé à elle seule un quart de tous les petits papiers.
Simone, pourtant, n'était pas un exemple de gentillesse et même si elle avait un grand coeur et une grande sensibilité, sa trop grande fierté et sa jalousie la fâchaient avec ses amis, avec ses collègues, avec ses voisins, avec sa famille. Petit à petit elle faisait le vide autour d'elle. Sa meilleure amie Caroline avec qui elle avait accouché pratiquement en même temps et dont le fils Philippe avait partagé les 6 premières années de sa fille comme un frère, c'était fini, son amie Jeanine dont la fille Karine avait le même âge que Sophie et avec qui elle passait tous ces week-end, c'était fini, Suzanne, la maman de la meilleure amie de Sophie au primaire, avec qui elle s'était liée d'amitié, c'était fini, Gisèle, la maman de Carole qui avait passée de nombreuses vacances avec Sophie, c'était fini. Simone ne se remettait jamais en question, c'était de la faute des autres si elle était fâchée alors que sa fille ne la contredisait jamais !!

dimanche 9 mai 2010

Les escaliers noirs des Dominicaines - 2

Il ne revint pas de sitôt. Simone déménagea à Cap d'Ail, plus près de son travail. Elle mit la petite à la crèche, puis pris une nourrice et lorsqu'elle rentrait le soir elle jouait avec sa fille jusqu'à minuit pour rattraper le temps perdu de la journée. Mais l'appartement fut cambriolé et elles déménagèrent à Beausoleil, à "La Source" au 6ème étage d'un joli petit immeuble bleu et blanc. Sophie avait 18 mois, son papa n'était toujours pas revenu, mais qu'à cela ne tienne, Simone lui en inventerait un. Armstrong venait de poser son pied sur la lune, ça tombait bien, ce serait son premier papa de substitution et puis que c'était mignon de voir ce petit bout de fille dire bonne nuit à la lune tous les soirs. Deux ans plus tard, Simone alla voir Gilbert Bécaud en concert, son idole, son amoureux imaginaire, c'est vrai qu'il lui avait amené une fleur lors d'un de ces concerts précédents qui avait maintenue une petite flamme allumée dans son coeur. Alors elle fit croire à Sophie que Gilbert Bécaud était son père, elle avait tous les disques, elles connaissait toutes les chansons, encore une fois quel joli choix !!
Pendant ce temps, Sophie grandissait, elle avait fait sa première année de maternelle à l'école des jouets à Monaco où elle avait reçu le prix de la gentillesse, le premier d'une longue liste !! Mais paraît-il le fait de ne pas avoir de père n'étais pas très bien vu dans cette école et Simone la mit chez les Dominicaines, juste en face de la maison, un pensionnat de soeurs où se trouvaient pas mal d'orphelines, alors ne pas avoir de père n'était pas bien grave !! Ce n'était pas facile d'élever une enfant seule, ce qui angoissait le plus Simone c'était la mort, sa mort, comment ferait la petite sans elle, ça la tracassait et pour parer à toute éventualité elle allait la préparer. D'abord, il fallait que la petite sache se débrouiller en cas de malaise à la maison, alors elle se mettait par terre pour lui apprendre à aller chercher un tabouret, ouvrir le verrou et aller chercher les voisins, puis elle lui fit choisir sa famille d'adoption au cas où..., chez quels cousins préférerait elle vivre, chez Patrice et Monique ou chez Dominique et Maciej ? Tous les papiers étaient prêts et souvent le week-end elle les lui montrait, où ils étaient cachés, à quoi ils servaient. Simone, malgré des papas imaginaires n'avait pas refait sa vie, aucun homme ne pouvait venir interrompre son histoire d'amour avec sa fille, elle dormait avec elle dans le même lit, elle l'a tricotait d'amour, une maille à l'endroit, une maille à l'envers, sa fille c'était elle, sa continuité, son ombre, sa vie. Mais Simone était malheureuse, souvent elle pleurait le soir contre sa fille dans leur lit, elle n'avait pas rêvé ça, elle voulait une grande maison, un gentil mari, quatre enfants et des chiens mais la vie en avait voulu autrement.
La journée, Simone était une battante, elle était fière et elle allait leur montrer à tous qu'elle pouvait tout à fait élever sa gamine et réussir son boulot. Elle était chef de produit dans les cartes de voeux, elle faisait les salons, elles créait les textes, elle bossait dur toute la journée puis elle rentrait jouer avec sa fille, lui faire à manger et se coucher avec elle. Le week-end elle allait voir ses parents, son père qu'elle adorait et sa mère à qui elle en voulait de préférer son frère. Ce frère, dont elle avait dû être amoureuse petite mais qui, plus grand de deux ans et demi avait du l'ignorer alors qu'elle l'admirait, jusqu'à ce que son amour pour ce frère se transforme en haine à vie. Mais ça c'est une autre histoire.
Un jour de Pâques, Donald vint leur rendre visite pour la première fois, Sophie avait 7 ans et elle dut se rendre à l'évidence que son père n'était ni Armstrong ni Bécaud mais bien ce grand monsieur qui ne parlait pas français et qui prenait sa maman dans ses bras. Un choc sans doute, mais il avait l'air gentil et la regardait avec admiration, c'était déjà pas mal, puis sa maman avait l'air heureuse, Sophie pouvait enfin respirer, pendant ces quelques jours le bonheur de sa mère ne reposait plus sur ses épaules. Simone avait inventé un autre très joli mensonge pour lui expliquer leur histoire : "Donald était marié au Canada et dans la boîte où il travaillait on lui interdisait de divorcer pour venir les rejoindre, il en était très malheureux mais il ne pouvait pas faire autrement et puis c'était mieux ainsi car Simone était à la fois le père et la mère de Sophie, elles n'avaient donc pas besoin de lui" Et comme à 7 ans on ne remet pas en cause les convictions de sa maman, c'était très bien comme ça !
La mort était omniprésente dans la pensée de Simone, elle en avait peur et elle en parlait à sa fille, ca servait à tout, de chantage quand elle voulait obtenir quelque chose "Si tu ne fais pas ce que je te demande et que je meurs, qu'est-ce que tu vas faire ? " d'exutoire à ses malheurs "Un jour tu me retrouveras morte et ce sera bien fait" ou de planification de l'avenir "alors, si je meurs, les papiers du notaire sont dans ce classeur, les numéros de compte en banque sont cachés ici..." Alors Sophie faisait tout ce qui était en son pouvoir pour lui faire plaisir, pour être gentille, pour qu'elle ne meure pas.

Les escaliers noirs des Dominicaines - 1



Simone venait d'avoir 39 ans, elle était encore jeune, elle n'avait pas d'enfant.
Elle avait arrêté l'école après le Certificat d'étude mais dotée d'une intelligence vive, elle était partie faire le tour de l'Angleterre à vélo pour apprendre l'anglais puis en revenant avait pris des cours de secrétariat le soir tout en travaillant, elle s'était bien débrouillée, elle était maintenant chef de produit dans une grosse boîte de carte de voeux américaine, basée à Monaco.
Elle avait des convictions, et ne se remettait jamais en question, c'était une battante, si les autres ne suivaient pas tant pis pour eux, si les autres ne partageaient pas ses idées, c'est qu'ils n'étaient pas intelligents, si les autres la critiquaient, c'est qu'ils étaient jaloux. Et comme ça elle avait avancé, un premier mariage raté, une seconde aventure avortée n'avaient pas entravé sa confiance en elle, elle fonçait.
Simone était belle, elle plaisait et elle le savait.
Un voyage d'affaire était prévu à Toronto fin janvier pour aller rencontrer le nouveau directeur export. Elle devait y aller.
Dans le milieu des années soixante, le Canada n'était pas encore tellement tourné vers l'extérieur et était encore engoncé dans son puritanisme un peu primaire.
Lorsque Simone débarqua à l'aéroport, bronzée avec son grand sourire et son humour ravageur, elle fit sensation et le nouveau directeur tomba tout cru dans le panneau !!
Il avait à peine 32 ans, marié depuis déjà 10 ans , ils avaient adopté avec sa femme deux enfants, Bob 5 ans et Lesley, 3 ans. Il avait une petite vie d'américain type, boulot tous les jours, journaux financiers tous les matins, golf tous les week-end. Mais la française était venue tout chamboulée et il était tombé amoureux !
Début mars il était déjà à Monaco et Simone lui faisait découvrir l'amour, l'Amour avec tous les A possibles et imaginables ! En avril il se donnèrent rendez-vous en Suisse, à Verbier et elle lui dit qu'elle voulait un enfant et pris dans le tourbillon de toutes ces nouvelles émotions il lui fit un enfant ! Lui promit de l'épouser, de tout quitter de venir s'installer en France ...
Mais de retour chez lui, sa femme et ses enfants l'attendaient , sa maison, son boulot, son golf, ses journaux et jamais il ne réussit à dire à sa femme ce qu'il avait fait. La journée, il rêvait, sur son petit nuage, il s'imaginait entrain d'apprendre le français allongé à côté de Simone mais le soir il rentrait, s'installait dans son fauteuil et jamais il n'eut le courage de parler, jamais.
en octobre, enfin, il écrivit une longue lettre d'amour et de lâcheté à sa belle française dont le ventre était déjà bien rond, il lui expliqua qu'il ne pouvait pas, qu'il ne viendrait pas, qu'il ne l'épouserait pas, "disregard".
Simone reçut la lettre comme un boulet de canon, elle cria, hurla, se roula par terre puis ses convictions prirent le dessus, elle voulait un enfant, elle avait un enfant ! Elle leur prouverait à tous qu'elle n'avait besoin de personne pour l'élever, encore une fois elle se débrouillerait.
La réponse fut claire, elle le comprenait, elle n'avait pas besoin de lui, mais il était le père de l'enfant et il pourrait venir la voir s'il en avait envie, une lettre froide, sans émotions.
Elle accoucha le 7 décembre d'une petite fille absolument magnifique (bon, j'exagère un peu;-)) !
Le baptême eut lieu fin janvier. Elle était là, radieuse, épanouie, il était là aussi, ses scrupules s'évanouissaient de la voir si heureuse, elle gérait, il gérait, c'était parfait ! Le tour était joué ! Il reviendrait mais il pouvait partir tranquille.