mardi 11 mai 2010

Les escaliers noirs des Dominicaines - 3



Chez les Dominicaines, Sophie n'était pas pensionnaire, elle restait à la cantine et à l'étude puis Simone venait la chercher en sachant que les soeurs pouvait la garder en cas de problème, elles pouvaient même la faire dormir, ce qui la rassurait. Tous les midis Simone montait de son bureau à l'école pour lui faire coucou à travers le grillage des fenêtres de la cantine qui étaient à mi sous-sol. Sophie attendait ce moment avec impatience, Simone lui souriait, tout allait bien, rien ne pouvait leur arriver.
Les Dominicaines était une école primaire seulement, elle était composée d'une ancienne villa à laquelle on avait ajouté une partie moderne pour faire des salles de classe sur trois étages, la maternelle au rez de chaussée, le CP au premier, le cours élémentaire au deuxième et le cours moyen au troisième étage. L'ancienne bâtisse était réservée aux chambres des soeurs qu'on ne voyait pas, à la salle à manger des professeurs et des soeurs, d'un escalier en ardoise noire qui montait au bureau de la mère supérieure et aux dortoirs, d'un escalier qui descendait à la cave et après ces deux escaliers de la salle de cantine. Devant les deux bâtisses se trouvaient les cours, celle qui servait de récréation avec sa ravissante pergola, son plaqueminier et sa Vierge Marie blanche et bleue sur une petite fontaine et celle qui donnait accès à la chapelle. C'est dans cette dernière que Mère Marguerite fut exposée après sa mort de manière à ce que toutes les petites filles viennent l'embrasser dans son beau cercueil !! Autre temps, autre moeurs !!
Sophie avait dans sa classe, un autre petite fille qui s'appelait Sophie Sciamana et qui elle aussi vivait seule avec sa maman. Un jour, la mère prieure vint en classe annoncer que la mère se Sophie Sciamana était morte, qu'elle s'était jetait du 6ème étage du Palais Armida où elle habitait, que Sophie serait donc pensionnaire à partir de ce jour et qu'il fallait être gentille avec elle. Ca pouvait donc arriver ! Ce jour là, Sophie imagina l'autre petite Sophie entrain d'hurler à l'annonce de la nouvelle dans les escaliers noirs des Dominicaines. Et elle se figea. Simone avait été choquée aussi, et elle en parlait à sa fille comme à une confidente sans se douter que sa fille s'était écroulée, à jamais, comme le lézard immobile sur le mur pendant que la vie passe. Plus d'émotions, plus de souvenirs, déconnectée de ses sensations, elle allait traverser sa vie dorénavant sans que rien ne la touche, le sourire aux lèvres, elle avait cessée d'exister réellement !
Pour Simone c'était tout bénéf ! Sa fille faisait tout ce qui était possible pour la rendre heureuse, pour ne pas qu'elle pleure, pour ne pas qu'elle se suicide elle aussi. L'année suivante, les soeurs avait fait un tableau représentant la naissance de Jésus et l'étoile du Berger qui brillait dans le ciel, chaque élève qui faisait une bonne action était convoquée par la Mère qui lui remettait un petit papier coloré à coller sur le tableau, quelle ne fut pas sa fierté d'apprendre que Sophie avait collé à elle seule un quart de tous les petits papiers.
Simone, pourtant, n'était pas un exemple de gentillesse et même si elle avait un grand coeur et une grande sensibilité, sa trop grande fierté et sa jalousie la fâchaient avec ses amis, avec ses collègues, avec ses voisins, avec sa famille. Petit à petit elle faisait le vide autour d'elle. Sa meilleure amie Caroline avec qui elle avait accouché pratiquement en même temps et dont le fils Philippe avait partagé les 6 premières années de sa fille comme un frère, c'était fini, son amie Jeanine dont la fille Karine avait le même âge que Sophie et avec qui elle passait tous ces week-end, c'était fini, Suzanne, la maman de la meilleure amie de Sophie au primaire, avec qui elle s'était liée d'amitié, c'était fini, Gisèle, la maman de Carole qui avait passée de nombreuses vacances avec Sophie, c'était fini. Simone ne se remettait jamais en question, c'était de la faute des autres si elle était fâchée alors que sa fille ne la contredisait jamais !!

4 commentaires:

  1. ça y est, nous sommes accrocs. Désormais, ça ne peut plus s'arrêter.

    Je sais maintenant ce qu'est un plaqueminier. Le baiser à la morte, c'est quelque chose. Et le "destin" supposé des Sophie...

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  2. C'est dur, en tout cas ça en donne des émotions. Une large palette.

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  3. Je suis comme Claudio : accro
    j'attends la suite avec impatience; mais ce qui compte c'est bien sur que tu écrive à ton rythme, nous saurons être patients.

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  4. Emouvant. D'autant que je connais bien les escaliers noirs des dominicaines. C'est étrange de lire ces lignes en sachant exactement comment est l'endroit, les odeur, la cantine, la petite chapelle où j'ai fait ma première communion et ces escaliers noirs que j'ai quelques fois balayé durant mes heures de colle... :-)

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