dimanche 9 mai 2010

Les escaliers noirs des Dominicaines - 2

Il ne revint pas de sitôt. Simone déménagea à Cap d'Ail, plus près de son travail. Elle mit la petite à la crèche, puis pris une nourrice et lorsqu'elle rentrait le soir elle jouait avec sa fille jusqu'à minuit pour rattraper le temps perdu de la journée. Mais l'appartement fut cambriolé et elles déménagèrent à Beausoleil, à "La Source" au 6ème étage d'un joli petit immeuble bleu et blanc. Sophie avait 18 mois, son papa n'était toujours pas revenu, mais qu'à cela ne tienne, Simone lui en inventerait un. Armstrong venait de poser son pied sur la lune, ça tombait bien, ce serait son premier papa de substitution et puis que c'était mignon de voir ce petit bout de fille dire bonne nuit à la lune tous les soirs. Deux ans plus tard, Simone alla voir Gilbert Bécaud en concert, son idole, son amoureux imaginaire, c'est vrai qu'il lui avait amené une fleur lors d'un de ces concerts précédents qui avait maintenue une petite flamme allumée dans son coeur. Alors elle fit croire à Sophie que Gilbert Bécaud était son père, elle avait tous les disques, elles connaissait toutes les chansons, encore une fois quel joli choix !!
Pendant ce temps, Sophie grandissait, elle avait fait sa première année de maternelle à l'école des jouets à Monaco où elle avait reçu le prix de la gentillesse, le premier d'une longue liste !! Mais paraît-il le fait de ne pas avoir de père n'étais pas très bien vu dans cette école et Simone la mit chez les Dominicaines, juste en face de la maison, un pensionnat de soeurs où se trouvaient pas mal d'orphelines, alors ne pas avoir de père n'était pas bien grave !! Ce n'était pas facile d'élever une enfant seule, ce qui angoissait le plus Simone c'était la mort, sa mort, comment ferait la petite sans elle, ça la tracassait et pour parer à toute éventualité elle allait la préparer. D'abord, il fallait que la petite sache se débrouiller en cas de malaise à la maison, alors elle se mettait par terre pour lui apprendre à aller chercher un tabouret, ouvrir le verrou et aller chercher les voisins, puis elle lui fit choisir sa famille d'adoption au cas où..., chez quels cousins préférerait elle vivre, chez Patrice et Monique ou chez Dominique et Maciej ? Tous les papiers étaient prêts et souvent le week-end elle les lui montrait, où ils étaient cachés, à quoi ils servaient. Simone, malgré des papas imaginaires n'avait pas refait sa vie, aucun homme ne pouvait venir interrompre son histoire d'amour avec sa fille, elle dormait avec elle dans le même lit, elle l'a tricotait d'amour, une maille à l'endroit, une maille à l'envers, sa fille c'était elle, sa continuité, son ombre, sa vie. Mais Simone était malheureuse, souvent elle pleurait le soir contre sa fille dans leur lit, elle n'avait pas rêvé ça, elle voulait une grande maison, un gentil mari, quatre enfants et des chiens mais la vie en avait voulu autrement.
La journée, Simone était une battante, elle était fière et elle allait leur montrer à tous qu'elle pouvait tout à fait élever sa gamine et réussir son boulot. Elle était chef de produit dans les cartes de voeux, elle faisait les salons, elles créait les textes, elle bossait dur toute la journée puis elle rentrait jouer avec sa fille, lui faire à manger et se coucher avec elle. Le week-end elle allait voir ses parents, son père qu'elle adorait et sa mère à qui elle en voulait de préférer son frère. Ce frère, dont elle avait dû être amoureuse petite mais qui, plus grand de deux ans et demi avait du l'ignorer alors qu'elle l'admirait, jusqu'à ce que son amour pour ce frère se transforme en haine à vie. Mais ça c'est une autre histoire.
Un jour de Pâques, Donald vint leur rendre visite pour la première fois, Sophie avait 7 ans et elle dut se rendre à l'évidence que son père n'était ni Armstrong ni Bécaud mais bien ce grand monsieur qui ne parlait pas français et qui prenait sa maman dans ses bras. Un choc sans doute, mais il avait l'air gentil et la regardait avec admiration, c'était déjà pas mal, puis sa maman avait l'air heureuse, Sophie pouvait enfin respirer, pendant ces quelques jours le bonheur de sa mère ne reposait plus sur ses épaules. Simone avait inventé un autre très joli mensonge pour lui expliquer leur histoire : "Donald était marié au Canada et dans la boîte où il travaillait on lui interdisait de divorcer pour venir les rejoindre, il en était très malheureux mais il ne pouvait pas faire autrement et puis c'était mieux ainsi car Simone était à la fois le père et la mère de Sophie, elles n'avaient donc pas besoin de lui" Et comme à 7 ans on ne remet pas en cause les convictions de sa maman, c'était très bien comme ça !
La mort était omniprésente dans la pensée de Simone, elle en avait peur et elle en parlait à sa fille, ca servait à tout, de chantage quand elle voulait obtenir quelque chose "Si tu ne fais pas ce que je te demande et que je meurs, qu'est-ce que tu vas faire ? " d'exutoire à ses malheurs "Un jour tu me retrouveras morte et ce sera bien fait" ou de planification de l'avenir "alors, si je meurs, les papiers du notaire sont dans ce classeur, les numéros de compte en banque sont cachés ici..." Alors Sophie faisait tout ce qui était en son pouvoir pour lui faire plaisir, pour être gentille, pour qu'elle ne meure pas.

5 commentaires:

  1. C'est bouleversant. Bravo pour le courage, pour l'écriture, pour ce blog dédié.

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  2. C'est superbe et cela doit te faire beaucoup de bien; en plus c'est bien écrit, ce qui ne gache rien.

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  3. Merci pour ce partage-confiance. Prenant.

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  4. Merci pour vos commentaires, ça me fait très plaisir !
    Je me sens un peu bête de me livrer comme ça sur un blog mais je crois que j'ai besoin de me construire une histoire de vie, qui ressemble le plus possible à celle que j'ai vécue, pour pouvoir avancer !
    Alors, merci de tout coeur de m'aider à avancer et de prendre le temps de me lire !

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